Je n’aime pas lire de la poésie

L’écriture est à la poésie ce que la vidéo est à l’art vivant : un médium indirect, donc affadissant.

J’ai toujours pensé ne pas apprécier la poésie, curieux non ? Pour l’auteur d’un blog sur le sujet. I mean, j’ai toujours pensé ne pas apprécier lire de la poésie… Curieux aussi en fait. Mais j’ai récemment compris l’origine de la dissonance entre le plaisir que je tire à écrire des trucs qui riment, et celui que j’éprouve à en lire.

Sur le conseil d’un ami, j’ai commencé à entendre des livres. Genre ça s’appelle, des livres audio. Et comme nul n’arrête l’émancipation numérique d’un type qui n’est, après tout, qu’ingénieur en informatique, c’est avec seulement 143 ans de retard que j’ai découvert cette technologie.

Les premiers enregistrements de musique et de langue parlée sont rendus possibles grâce à l’invention du phonographe en 1877

Et je me suis dit, écoutons donc de la poésie de gens pas trop dégueulasses dans le dièz, type ce bon vieux Charles. Et puis, ça me permettra de mieux comprendre les meufs qui, sur Tinder, à défaut de répartie, cite les fleurs du mal. Et dieu sait que ça me tient à cœur.

Comment ne pas succomber à cette bouille 💓

Et là, je me suis senti stupide.

Stupide d’avoir cru pendant 10 ans ne pas apprécier consommer de la poésie.

L’écriture est à la poésie ce que la vidéo est à l’art vivant : un médium indirect, donc affadissant.

C’est con… même là en écrivant je me sens con.

La poésie n’est pas faite pour être lue. Elle est faite pour être entendue. C’est tellement évident. Comment est-ce que j’ai pu passer à côté d’un truc aussi énorme pendant aussi longtemps ?

Lire de la poésie, c’est comme lire la partition d’une musique, plutôt que d’en écouter sa mélodie. A quoi bon ? La poésie, c’est la musique de la langue. Du coup bah en lire c’est au mieux une perte de temps, au pire une absurdité crasse.

Donc désolé Charles, désolé Alfred, désolé Lamartine (ouais toi sorry je connais pas ton prénom), désolé les gars de vous avoir craché dessus pendant aussi longtemps, mais là tout de suite j’avoue j’ai franchement hâte d’entendre vos trucs qui riment.

Alizées (2)

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Suite de Alizées (1)

Une nuit de pluie drue, alors que la forêt était au plus sombre, un étrange visiteur vint à la rencontre de la fleur. C’était un insecte qui dégageait autour de lui un faisceau lumineux rond et joli. La fleur pensait rêver. Un bout de soleil venait-il lui rendre visite ?

Phare agile, l’insecte alunit non loin d’elle, sur une flaque dans laquelle le ciel reflétait quelques-uns de ses astres. Luminescent, l’insecte se fondait si bien dans l’eau pure et miroitante, qu’il était difficile à distinguer.

Est-ce que tu es un morceau de soleil ? Demanda finalement la fleur.

Non, je suis une luciole, répondit la luciole. J’ai suivi ton odeur. Tu sens très bon. Est-ce que tu peux me prêter de ton parfum ?

Seulement si tu me prêtes le petit soleil que tu as sur toi.

Je ne peux pas te le prêter, répondit la luciole, il fait parti de moi.

Comment est-ce que tu as eu celui que tu as, alors ?

Je l’ai eu à ma naissance, comme toutes les lucioles.

Comment ça ?

Et bien, les lucioles, nous pondons nos œufs dans un coin de soleil, et quand nous éclosons, un morceau de soleil s’accroche à nous.

Comment est-ce que les lucioles peuvent pondre dans un coin de soleil ? Le soleil est rond, il ne peut pas avoir de coin !

Il en a tout un tas, si tu l’imagines assez fort.

Et c’est suffisant, d’imaginer ?

Cela doit bien l’être, puisque je suis né. 

Alors est-ce que je pourrais devenir une luciole, si je l’imagine assez fort ?

Peut-être. Je ne suis pas sûr. Pourquoi est-ce que tu veux devenir une luciole ?

Je ne veux pas devenir une luciole, je veux avoir un rayon de soleil toujours avec moi, comme toi. Je t’envie luciole. Tu penses que je pourrais devenir comme toi, si je l’imagine suffisamment ? 

Lorsque tu fermes tes yeux, est-ce que tu parviens à t’imaginer avec des ailes ?

Lorsque je ferme les yeux, je ne vois que du noir.

Tu as peur ? Le noir est l’enfant des peurs.

J’ai peur oui. De tout, petite luciole, même de moi, et de ce creux d’à l’intérieur de moi. J’ai peur aussi quand la nuit arrive, que le soleil s’éteint et que la lune ne le relaie pas. J’ai peur parce que les arbres bruissent “tu n’as pas ta place ici”, que les insectes sur la terre molle crissent “tu n’as pas ta place ici”, que la pluie sur mes pétales clapotent “tu n’as pas ta place ici”, et que la voix d’à l’intérieur de moi susurre, “ils ont raison”. Davantage que tout, j’ai peur qu’un matin le soleil ne revienne pas, que je sois entièrement seule et que le trou d’à l’intérieur grandisse jusqu’à devenir moi.

C’est beaucoup toutes ses peurs, dit la luciole. Moi, je n’ai pas autant de peurs que toi.  Quand je suis né, j’avais peur de voler, jusqu’à ce que je me jette de mon coin de soleil. Et puis ensuite, je n’ai plus eu peur. J’avais peur avant de voler, la première fois. Mais pas pendant, ni après. Et ensuite je n’ai plus jamais eu peur.

Jamais ? 

Jamais. Quel est ton nom, petite fleur ?

Qu’est-ce qu’un  “nom” ? demanda la fleur, à qui nul n’avait jamais posé la question.

Un nom, c’est ce par quoi les gens qui t’aiment t’appellent.

Oh ! Je n’ai pas encore eu besoin de nom, fit la fleur.

J’ai envie de t’appeler Alizée. Est-ce que je peux ?

Oui, dit la fleur. Et toi, comment t’appellent les gens qui t’aiment ?

Ils m’appellent Lucile.

Tu sais Lucile, tu ne m’as pas aidé à être avec le soleil, ni à me transformer en luciole.

J’en suis désolé… Commença Lucile.

Mais tu m’as donné un nom, l’interrompit Alizée, et personne ne m’avait rien donné jusque-là.

En disant ces mots, la fleur laissa tomber une de ses pétale, qui amerrit dans la flaque, entre la luciole et un reflet de lune.

Je te la donne. C’est à mes pétales que je dois mon parfum, expliqua Alizée.

J’en prendrai soin, dit la luciole en enroulant la pétale autour de sa tête, comme une couronne.

Est-ce que tu reviendras me voir ? Demanda la fleur.

Quand tu pleureras sans peur, je reviendrai te voir, Alizée.