En ce moment, je joue beaucoup aux échecs.
J’ai une personnalité qui glisse facilement dans les passions. Parfois dans ma vie, je trouve un truc qui me plaît, et il y a un petit feu inextinguible qui s’allume en moi. Petit parce que je passe jamais tout mon temps sur le truc en question : il me consomme jamais tout à fait. Inextinguible parce que je peux passer des années à m’y réchauffer quasi-quotidiennement.
Et donc, je joue aux échecs depuis quelques mois, et ça m’amuse beaucoup.
Conséquence : mon cerveau tire naturellement des parallèles d’entre ma passion primaire – l’improvisation théâtrale – et de ce nouveau truc qui lui procure des sensations agréables.
Les échecs aux échecs
Donc, d’abord, les échecs, je trouve que c’est génial pour échouer. Y a pleins d’échecs dans les échecs, surtout quand tu débutes. Partout ailleurs, tu vas me dire : quand on débute, on échoue, on rate, on tâtonne, c’est dans l’ordre des choses. Certes oui, mais je trouve qu’aux échecs, il y une instantanéité particulière entre ce que tu joues, et le retour que tu reçois.
Exemple. Je jouais récemment avec un ami, qui se débrouille mais joue peu. Arrivés en milieu de partie, il prend mon cavalier avec son pion sans s’apercevoir que ça me permet de le mettre échec et mat. Bam. Confrontation instantanée avec l’échec (et mat). Autre exemple. Je jouais en ligne, et après avoir vérifié assidûment pendant une minute que mon prochain coup mettrai échec et mat mon adversaire, je déplace ma reine, confiant. Et là badaboum un cavalier sort des fourrés (je sais pas s’il y avait vraiment des fourrés sur le plateau, en tout cas je l’avais pas vu ce cavalier, alors je dirais que oui) et prend ma dame. Bam. Confrontation instantanée avec l’échec (et pas mat).
Le retour est encore plus brutal contre une IA, qui, dopée qu’elle est à l’élagage et autre algorithme minimax, joue ses coups immédiatement (mais genre, à la vitesse d’un canard dans un parc quand t’as du pain, ou des chips. Vous saviez que le pain et les chips, c’est mauvais pour les canards ? En soit, c’est pas ouf pour les humains non plus.) après les tiens.
Je me dis que ça fait un peu l’effet de quand tu fais un bide après une phrase dont t’étais sûr qu’elle ferait réagir le public (ça c’est ma transition échec -> impro).
La science de l’échec
L’improvisation c’est – à mes yeux – l’art qui s’approche le plus de la science de l’échec : on l’étudie, l’expérimente, souhaite l’amadouer, l’accepter inconditionnellement, le reconditionner, en tirer du plaisir, l’apprivoiser, plus que tout le comprendre. Et pour ça, il faut s’y confronter. Se confronter à ses échecs c’est la matière grâce à laquelle tu peux travailler ta manière d’appréhender ce que tu considères être un échec.
Du coup je trouve ça chouette les échecs – intrinsèquement – et parce que ça me permet d’en apprendre un peu plus sur mes échecs, en échouant beaucoup, m’exclamant fiérot “ échec et mat “ sous le regard numérique désabusé d’un adversaire qui pour toute réponse se contente de prendre ma dame, échouant encore, laissant naître cycliquement cette flammèche inconsciente de “ ha zut “ dans ma tête, et en l’observant avec la bienveillance consciente de celui qui sait qu’échouer, c’est cool.
Au final, aux échecs comme en impro, l’important, c’est pas de ne pas échouer (dans l’un comme l’autre, et à vrai dire dans quelque domaine que ce soit, c’est impossible), mais de ne pas s’effriter lors de la confrontation avec ce sentiment insidieux, souvent mensonger, d’avoir échoué. Aux échecs, de rester lucide, calme, rationnel, à l’affût de quelque tactique, et, en soit, par (voire grâce à) cet “ échec “ d’affermir sa prise sur l’instant. En impro, de rester souriant, confiant, connecté à ses partenaires, heureux d’être sur scène, et, en soit, par (voire grâce à) cet “ échec “, d’affermir sa prise sur l’instant (bis).
Fin de scène !