Alizées (1)

La fleur

C’est l’histoire d’une petite fleur, née dans une forêt obscure d’un pays lointain ; qui avait eu le malheur d’éclore entourée de grands arbres centenaires et méchants, dont les branches passaient pour des griffes et le tronc, noir comme un charbon, absorbait tous rayons de soleil avant qu’ils n’eussent atteint les pétales délicats de la fleur.

La fleur sentait bien qu’elle était différente de ses voisins. Elle n’avait pas les pointes aiguisées des ronces, mais une tige nue et fragile. Elle n’avait pas l’odeur brute de la terre environnante, mais dégageait un parfum-pianissimo à la nuance si légère qu’il semblait mourir avant même d’être exhalé. Et, en particulier, ses couleurs chamarrées juraient avec la sombreur qui la cerclait : de toute la forêt, elle était la seule à chatoyer vivement. La mousse recouvrant les écorces était noire, les proéminentes feuilles des arbres étaient noires, les buissons étaient noirs. Le ciel même semblait noir, tant la canopée, couvercle péremptoire, recouvrait impérieusement  l’entièreté de la forêt. Certes, il y avait bien quelques rares champignons, qui avait profité des troncs ombrageux pour s’épanouir. Mais ce n’était pas là les champignons fantasques des contes populaires, à pois et teinte pittoresque. Non, il s’agissait de champignons d’un gris anthracite que le manque de luminosité faisait tendre, encore une fois, vers le noir. Seule la fleur resplendissait d’une belle couleur rose, tavelée de délicieuses touches violettes.

La fleur, qui était d’une bonne nature, avait bien entendu œuvré tant et plus pour que son voisinage l’accepta. Une fois, elle avait tendu sa tige afin de se grandir au mieux, et avait dit aux arbres d’à côté d’elle : “regardez, je suis grande aussi”, et aux arbres sardoniques de répondre que la plus grande des fleurs resterait plus petite que le plus minuscule des arbres. 

Au fond, la fleur n’était heureuse que quelques minutes par jour : vers midi, le soleil à son zénith dardait suffisamment sur la forêt pour en percer l’épaisse canopée. C’était un moment d’extase pour la fleur, qui buvait chaque rayon comme s’il s’était s’agit d’un élixir, et elle dansait, joyeuse, tandis que la pluie de lumière arrosait son épiderme et réchauffait ses pétales. Ces précieuses secondes, aussi courtes fussent-elles, la guérissaient – au moins partiellement – des rudoiements quotidiens. elles étaient la preuve que les ennuis, impermanents, laissent toujours place à la chaleur d’un réconfort. Pour autant, lorsque le soleil – dont la journée était bien remplie – s’en allait vaquer à d’autres occupations, elle ne pouvait s’empêcher de le regarder s’éclipser à regrets. “Si je pouvais passer une journée entière sous ses rayons, je serais la plus heureuse des fleurs”, se disait-elle alors.

Chat marron

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Quelques fleurs aux odeurs de déjà dit

Cueillies en l’honneur de celle que tu fus jadis.

Dans le blanc immaculé de tes habits,

Tu es belle comme en mille neuf cent quatre-vingt-dix.

 

S’étalent sous mes yeux par le passé brumé,

Des pétales d’azalées, de rhododendrons,

Des “ça va aller” sincèrement décernés

Estompent un temps l’image de tes yeux-corindons

 

Un chat marron, entre les tombes chamarrées,

Promène une démarche qui fut la tienne.

D’un papier raturé à ma manche amarrée,

Je lis des mots sur notre vie et la prochaine.

 

Une procession de têtes aux rides gentilles

M’écoutent – malgré la chaleur qui m’engourdit ;

Pendant que les rires de ta petite fille

S’élèvent du cimetière, s’envolent au paradis.

Les échecs, les échecs, et l’impro

En ce moment, je joue beaucoup aux échecs.

J’ai une personnalité qui glisse facilement dans les passions. Parfois dans ma vie, je trouve un truc qui me plaît, et il y a un petit feu inextinguible qui s’allume en moi. Petit parce que je passe jamais tout mon temps sur le truc en question : il me consomme jamais tout à fait. Inextinguible parce que je peux passer des années à m’y réchauffer quasi-quotidiennement.

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Genre de cette taille ?

Et donc, je joue aux échecs depuis quelques mois, et ça m’amuse beaucoup.

Conséquence : mon cerveau tire naturellement des parallèles d’entre ma passion primaire – l’improvisation théâtrale – et de ce nouveau truc qui lui procure des sensations agréables.

Les échecs aux échecs

Donc, d’abord, les échecs, je trouve que c’est génial pour échouer. Y a pleins d’échecs dans les échecs, surtout quand tu débutes. Partout ailleurs, tu vas me dire : quand on débute, on échoue, on rate, on tâtonne, c’est dans l’ordre des choses. Certes oui, mais je trouve qu’aux échecs, il y une instantanéité particulière entre ce que tu joues, et le retour que tu reçois.

Exemple. Je jouais récemment avec un ami, qui se débrouille mais joue peu. Arrivés en milieu de partie, il prend mon cavalier avec son pion sans s’apercevoir que ça me permet de le mettre échec et mat. Bam. Confrontation instantanée avec l’échec (et mat). Autre exemple. Je jouais en ligne, et après avoir vérifié assidûment pendant une minute que mon prochain coup mettrai échec et mat mon adversaire, je déplace ma reine, confiant. Et là badaboum un cavalier sort des fourrés (je sais pas s’il y avait vraiment des fourrés sur le plateau, en tout cas je l’avais pas vu ce cavalier, alors je dirais que oui) et prend ma dame. Bam. Confrontation instantanée avec l’échec (et pas mat).

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Blanc joue et perd sa dame en un coup

Le retour est encore plus brutal contre une IA, qui, dopée qu’elle est à l’élagage et autre algorithme minimax, joue ses coups immédiatement (mais genre, à la vitesse d’un canard dans un parc quand t’as du pain, ou des chips. Vous saviez que le pain et les chips, c’est mauvais pour les canards ? En soit, c’est pas ouf pour les humains non plus.) après les tiens.

Je me dis que ça fait un peu l’effet de quand tu fais un bide après une phrase dont t’étais sûr qu’elle ferait réagir le public (ça c’est ma transition échec -> impro).

La science de l’échec

L’improvisation c’est – à mes yeux – l’art qui s’approche le plus de la science de l’échec : on l’étudie, l’expérimente, souhaite l’amadouer, l’accepter inconditionnellement, le reconditionner, en tirer du plaisir, l’apprivoiser, plus que tout le comprendre. Et pour ça, il faut s’y confronter. Se confronter à ses échecs c’est la matière grâce à laquelle tu peux travailler ta manière d’appréhender ce que tu considères être un échec.

Du coup je trouve ça chouette les échecs – intrinsèquement – et parce que ça me permet d’en apprendre un peu plus sur mes échecs, en échouant beaucoup, m’exclamant fiérot “ échec et mat “ sous le regard numérique désabusé d’un adversaire qui pour toute réponse se contente de prendre ma dame, échouant encore,  laissant naître cycliquement cette flammèche inconsciente de “ ha zut “ dans ma tête, et en l’observant avec la bienveillance consciente de celui qui sait qu’échouer, c’est cool.

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Le panneau failure devrait être en vert. Les deux panneaux devraient pointer dans la même direction. Le ciel devrait être homogènement bleu. Cette légende est trop longue.

Au final, aux échecs comme en impro, l’important, c’est pas de ne pas échouer (dans l’un comme l’autre, et à vrai dire dans quelque domaine que ce soit, c’est impossible), mais de ne pas s’effriter lors de la confrontation avec ce sentiment insidieux, souvent mensonger, d’avoir échoué. Aux échecs, de rester lucide, calme, rationnel, à l’affût de quelque tactique, et, en soit, par (voire grâce à) cet “ échec “ d’affermir sa prise sur l’instant. En impro, de rester souriant, confiant, connecté à ses partenaires, heureux d’être sur scène, et, en soit, par (voire grâce à) cet “ échec “, d’affermir sa prise sur l’instant (bis).

Fin de scène !

Mon hédonisme

Alangui dans un silence sans maux
J’admire les danses évanescentes,
Que – battu au rythme doux d’un vent chaud –
Offre l’andin en quelques valses lentes.

Alors qu’affleure les senteurs de parfum
Des fleurs de jasmin qu’effleure ma main ;
Moi, ici – cartésien reconverti –
Je pense que je ressens, donc je suis.

S’insinuent, du haut de cette dune de terre,
Dans mon crâne, les murmures d’idées subreptices :
Se pourrait-il, que sous cette lune entière,
Me parvienne la lueur d’un nouvel hédonisme ?

Sous le ciel, mille macules étincellent,
S’entremêlent, éphémères et éternelles.
Non, ni les Dieux d’en haut, ni les Rois d’en bas
N’ont, sur ces yeux éthérés, plus de droits que moi.

Nymphe

A l’heure ou les rêves s’étrennent
Meurent, pour sans cesse renaître,
Elle, sans aide, à seize ans à peine
Se perche sur seize centimètres.

D’un pas hardi elle marche
Vers le paradis et l’enfer,
Là où les réverbères crachent
Leur si lapidaires lumières.

Ses seins sont haut, son âme lasse,
Ses cils sont faux, ses lèvres criardes.
Elle ajuste sa jupe trop basse
Que d’injustes juges regardent.

Douce source sourde et froide
D’où sourde, sous un prude effroi,
L’envie brute d’un mâle roide,
D’être le prédateur et la proie.

Absurde vasque vespéral sans fond
Lèvres en gaine sur ses crocs soumis
Elle aspire en elle les pulsions
Qu’elle provoque et assouvit.

Ma mort

Le sais-tu ? Quand vicieuse, et pourtant péremptoire,
La mort, rieuse, lentement me viendra voir
Accueillant par un sentencieux silence rance
Mes supplications et autres débiles instances
Que mes cheveux, par le temps tous blancs ou tombés,
Se dresseront pourtant devant sa lame bombée,
Qu’enfin, le destin, d’un tacite assentiment,
Aura disjoint nos dix mains bien trop vitement,
J’aurai aux lèvres un sourire pourtant, pour vous des pensées,
Ainsi qu’en moi les souvenirs par vous dispensez.
Poli, je lui verserai dans un verre dépoli,
Sous ma lampe une lampée de Leffe Rubis.
Son couperet de mon cou près je lui dirai,
Que si l’on se désagrège au grès de nos regrets,
Je prends fin complet d’avoir vécu avec vous.
Elle me trouvera mièvre, ma bière mauvaise,
A raison, sans doute ! Qu’importe – lorsqu’à son aise
Sa lame anthracite entrera dans mon cou,
J’aurais aux lèvres un sourire, pour vous des pensées,
Ainsi qu’en moi les souvenirs par vous dispensez.

Jacadi

Château-fort
Affaibli
Coffre-mort
Mais, ami

Ma magie
Dans ce corps
Assagi
Danse encore !

Meurtrières
Sont des brèches
Pas des mères.

Les carreaux
Sont des flèches
Pas des mots.

Au loin,
J’entends :
Demain
M’attend.

Le train
Du temps
M’éteint,
Pourtant

J’existe !
En toi
Ma voix

Subsiste
T’appelle
Si frêle :

La
Vie
M’a
Pris

Ta-
Pi
La
Nuit

Je
Crée
Tes

Sèves
De
Rêves











Je pars

De ce hublot qui en douceur crépite,
J’observe le temps à l’humeur labile,
Tandis qu’à tous ceux qu’aujourd’hui je quitte,
J’adresse un flot de pensées volubiles.

Dans l’écrin de mon crâne – nos souvenirs.
Dans le creux de mon âme – vos regards.
Vous, qui seuls avez su me faire rire !
Que j’aime ! Comprendrez-vous pourquoi je pars ?

S’élèvent dans les airs mes ailes de fer.
Sans un dernier regard pour mon pays,
Je m’envole à l’abris de la bruine, Fière,
Loin de ce crachin qu’ici est ma vie.

Fantômes

Ils sont une nuque nue, sur laquelle tombe
Des rayons dardant de chevelure blonde ;
Ils sont des yeux de ciel desquels on décerne
Une pétulance ardente, et quelques cernes ;

Ils sont une fine démarche féline et fluide,
A l’effet entremêlé : brûlante et humide ;
Ils sont des fantômes enfantés par des rien,
Par la lueur vide d’un bougeoir d’étain éteint ;

Ils sont des corps creux et morts qu’aimer trop étreint,
Des ombres de toi dans les quais, métros et trains.
Ils sont ceux dans lesquels mon âme entière s’enlise,
Qui, habitant de mon crâne eux-même s’Elise.